Que reste-t-il de cette belle idée qu’était naguère l’école communale, de ce projet commun  qui portait à un avenir moins sombre sinon lumineux ?

Comment un enfant qui vit les peurs de ses parents, faim, froid, précarité, chômage, travail au noir, expulsions, folie, maladies, … peut-il entrer dans les apprentissages scolaires ?

C’est un des problèmes auxquels l’école est aujourd’hui confrontée et qu’elle est tenue de prendre en compte.

S.., 7 ans, vit dans un vingt mètres carrés avec ses trois frères et sœurs sa mère et son beau-père. Sans papiers, ce dernier travaille au noir quand il peut. Ils dorment à tour de rôle. La mère tente de trouver les ressources pour nourrir cette petite famille.

S… est content de venir à l’école. Il a un grand retard scolaire. Il est pris en charge par l’enseignant de CLAD en partie et suit un CE 1 encore difficilement.

La gratuité pour la cantine a été demandée en début d’année : la réponse n’est pas encore parvenue. Si elle est obtenue, ce ne sera que pour deux mois....

9h20

Enfin en classe ! Lancer le travail après les appels multiples et variés : présences, cantine, étude... puis, sauter sur le téléphone pour joindre l'Inspection. Ouf ! Un remplaçant va arriver vers dix heures. Reprise du travail en cours, Gaston s'agite, Clotilde bavarde, Pierre rêve...

Quelques recommandations puis on frappe à la porte: Monsieur R. de la mairie vient enfin, après quelques kilomètres de courrier, vérifier l'état des sols des classes 10 et 12 dont le carrelage est décollé depuis trois ans.L'assistante d'éducation (A.E) va surveiller les élèves pendant que j'accompagne ce monsieur qui ne m'a pas prévenue de sa venue. Je reviens avec l'espoir de travaux dans quelques mois après que le budget ait été voté. Une cinquante de marches plus loin, je retrouve ma classe.

Je profite de la récréation pour lire le courrier électronique. Lettre menaçante de l'Inspecteur d'Académie : une journée de salaire sera prélevée aux directeurs en grève administrative pour service non fait. Je ne suis pas dans ce cas mais ce courriel a le don de m'irriter. Et les cours d'Anglais qui devraient exister depuis le CP et dont bénéficient seulement les CM pour l'instant : ce n'est pas un service non fait ? Et les enseignants non remplacés ? Et ...

Juste le temps de voir que je dois répondre cet après-midi à une quinzaine de mails et c'est reparti pour la classe...

8h 20

Premiers galops dans la cour, premiers rires, premiers cris, quelques petites mines, une nouvelle inscription : francophone ou Elève Nouvellement Arrivé (E.N.A.) ? Vais-je les comprendre ou dois-je faire appel à un " traducteur officiel ", élève arrivé il y a quelques mois ? Reste-il des places à la cantine en cas de besoin ? Vont-ils pouvoir payer ? Serons-nous tous là ? Le personnel de service sera-t-il au complet ? Incertitudes du matin…

Le téléphone : une voix caverneuse. "Eulalie ? J’attends le médecin, je n’ai pas dormi de la nuit, l’épidémie de gastro m’a rattrapé, je te fais porter mon arrêt de travail…"

Pourvu qu’il n’y ait pas un second appel !

Problème : comment monter en classe avec ses élèves..., tout en répartissant les élèves dont le maître est absent..., tout en essayant de joindre l’Inspection de circonscription qui répond rarement avant neuf heures... Un remplaçant sera-t-il disponible ? Il faut reporter l’inscription l’après-midi..., tout en appelant les transports en car pour aller au stade (ils ne sont pas à l’heure aujourd'hui)..., tout en répondant à un parent sans papiers qui est menacé d’expulsion...

Voilà quelques-uns des problèmes d'un  directeur d’école le matin, avant le lever du soleil, en hiver.

Bonjour.

Nous sommes quelques enseignants d'une école dans une grande ville de France. Nous vous proposons à travers nos messages la réalité de ce qui s'y passe, du travail des enseignants, de celui des élèves, des joies et des tensions qui accompagnent sa vie. Nous espérons réaliser les chroniques de la vie ordinaire d'une école française en ce début de XXIème siècle.

Notre école, ni pire ni meilleure qu'une autre, est implantée en centre-ville, un centre qui s'est passablement dégradé ces vingt dernières années.

L'école ? Un peu plus d'une dizaine de classes, une population scolaire bigarrée, des parents d'élèves actifs et impliqués, des enseignants que nous croyons motivés.

Nous serons heureux de discuter avec ceux que cette vie là intéresse.